Visitez la France avec le cinéma français - Épisode 5 : Le Nord-Est

Terre frontalière, le Nord-Est de la France a été une zone de batailles durant les deux guerres mondiales. On retrouve donc souvent ces régions dans des films de guerre où elles ne sont guère mises en valeur. Pour les autres films, c’est la Lorraine qui a le plus attiré les réalisateurs autant par ses villes d’art que par ses paysages industriels. L’alsace est représentée par sa capitale Strasbourg et par ses vignobles et la Franche-Comté par ses paysages verdoyants. 

Philippe Claudel a choisi Nancy où il a longtemps habité comme cadre de son premier film, Il y a longtemps que je t'aime, sorti en 2008. On y découvre cette ville, “magnétique”, selon le réalisateur. Voulant éviter la carte postale de la place Stanislas – qu’on entrevoit à peine, il a surtout tourné à Saurupt, quartier sud réputé pour son architecture Art Nouveau. L’une de ses belles demeures, la villa “Les Cigognes” est au centre du film.

L’esthétique Art Nouveau est l’univers même de L'étrange couleur des larmes de ton corps, un film de 2014 réalisé par Hélène Cattet et Bruno Forzani. Les deux réalisateurs ont exploité les ressources Art Nouveau de Bruxelles où ils vivent. Mais ils ont choisi Nancy, l’autre berceau de ce mouvement artistique, comme décor de deux des sept “appartements” du film, en  tournant dans la somptueuse Villa Majorelle et dans l’immeuble Bergeret, en plein cœur de la ville.

Après un drame, Philippe Claudel est passé à la comédie en 2011 avec Tous les soleils. Le film s’ouvre sur une scène dans laquelle le héro circule à Solex dans les rues de Strasbourg. Le réalisateur à choisi cette ville pour l’ambiance qui diffère selon le quartier et pour son atmosphère sonore : on y entend toutes les langues de l’Europe, présence du parlement européen oblige. Les beaux quartiers de Strasbourg s’accommodent du style “comédie italienne” du film. Et quand Philippe Claudel transporte ses deux acteurs italiens à la campagne, c’est sur la route des vins d’Alsace : une ferme viticole de Dambach-la-Ville est la maison familiale des deux frères et les vignes sont celles de Dieffenthal. 

Tourner en alsace pour goûter à la cuisine !

En 1971, Claude Chabrol qui a souvent recherché des ambiances provinciales choisit l’Alsace pour La décade prodigieuse. On a dit que c’était pour goûter à la cuisine alsacienne, ce dont ne se privera pas non plus Orson Welles, son acteur principal ! Mais c’est aussi parce qu’il va trouver dans le Bas-Rhin, la demeure des années 20 qu’il recherchait. Il s’agit de La Léonardsau, à Obernai, face au Mont Sainte-Odile. C’est dans ce domaine que le personnage d’Orson Welles règne en tyran. Les extérieurs sont tournés à Obernai et ses environs, Boersch, Grendelbruch, Barr, Dambach-la-Ville, Molsheim et Sélestat, et au lac de Lamaix, dans le département voisin des Vosges. 

En 1971, Jean-Pierre Mocky vient aussi en Lorraine pour L’albatros, un beau thriller, romantique et mordant tourné à Sarreguemines. En 1992, il revient dans la région pour Ville à vendre. Il filme quelques scènes à Metz. Mais pour raconter l’histoire d’une ville et de ses habitants touchés par le chômage, il tourne surtout dans la vallée de l’Orne: à Mondelange, Amnéville, Rombas, Jœuf et Homécourt, dans un décor de friches industrielles et de villes abandonnées, symboles de la fin de la sidérurgie lorraine. À Jœuf, il filme le site industriel quinze jours avant son dynamitage. 

Loué ou décrié, le thriller mystique d’Olivier Dahan, Les anges de l'apocalypse, deuxième volet des Rivières pourpres, a été tourné en 2003 dans la “ligne Maginot”, près de Longwy, en particulier dans les galeries du fort de Fermont, à Viviers-sur-Chiers. Un décor véritablement apocalyptique, tout comme les autres lieux de tournage également situés dans la région des mines de fer, entre Longwy et Metz. Une scène tournée à Crusnes, met en valeur l’église Sainte Barbe. Seule au monde à être entièrement métallique, symbole de l'histoire du bassin minier lorrain, monument de rouille lors du tournage, l’église est aujourd’hui restaurée. Les bureaux du commissariat sont les anciens “grands bureaux” de Senelle, usine sidérurgique de Longwy-Herserange. L’immeuble délabré dans lequel officie le commissaire Pierre Niemans (Jean Reno) est aujourd’hui une résidence de luxe face à un golf ou trône un haut-fourneau couché. Pour les scènes plus rurales, c’est dans la région voisine de Franche-Comté qu’Olivier Dahan est allé chercher son décor, au bord d’un étang du plateau des Milles Etangs, sur la commune de Servance, dans les Vosges. Mais le monastère depuis lequel on accède aux tunnels de la ligne Maginot est en réalité celui de l'Abbaye de Lavaudieu en Auvergne … loin du nord-est de la France. 

Des paysages comparables à ceux du Midwest

Situés également en Franche-Comté, les paysages enneigés du Jura sont le cadre idéal pour Les Granges Brûlées de Jean Chapot en 1973. La ferme de montagne isolée qui donne son nom au film est La Grange des Miroirs, ferme d’alpage du massif de Larmont, sur la commune de Pontarlier. C’est dans cette ferme que vit une famille paysanne à l’esprit clanique, sous la tutelle de la mère, Rose (Simone Signoret). Le village du film est en réalité La Chaux-de-Gilley, village du Haut-Doubs. Le juge (Alain Delon) vit dans la petite ville de Pontarlier où il fréquente une brasserie de style art déco. C’est celle où se retrouvent les notables dans Le septième juré de George Lautner, un film dans lequel la petite ville provinciale est acteur du film à part entière. 

Crime, neige et ambiance villageoise aussi pour Poupoupidou de Gérald Hustache-Mathieu en 2011. Le réalisateur à trouvé à Mouthe, village de “la petite Sibérie”, en Franche-Comté, l’isolement et l’atmosphère glaciale appropriés au film. Les paysages sont aussi ceux de la région des lacs de Saint-Point et Remoray. Des lieux qui conviennent à merveille à ce polar aux airs de thriller nordique, bien que les références explicites du film soient américaines. Le réalisateur qui avait déjà tourné à Mouthe quelques scènes de son premier film a précisé qu’il y avait trouvé des décors qui lui rappellent le Middle West : « Tourner là-bas comble en partie ma frustration de ne pas pouvoir filmer les grands espaces américains ! » 

François Truffaut cherchait parfois aussi de grands espaces, mais il n’a tourné hors de France que L’histoire d’Adèle H. Pour Les deux anglaises et le continent (1972), il tourne en Normandie les scènes galloises et il choisit son lac “suisse” en Franche-Comté. L’île et sa cabane où se retrouvent Ann et Claude (Kika Markham et Jean-Pierre Léaud) est celle du lac d'Ilay. On la découvre dans un long et mémorable travelling accompagné par la musique de Georges Delerue. Quand au chalet autrichien dans lequel se retrouve le trio de Jules et Jim (1962), Truffaut le trouve dans les Vosges alsaciennes. C’est la ferme auberge de Sihlbach, sur le Molkenrain, aujourd’hui refuge de montagne. Ici aussi la musique est importante, puisque c’est là que Jeanne Moreau interprète Le tourbillon de la vie dans l’une des scènes les plus connues du cinéma français. Le lac qui se trouve près du chalet est celui de La Lauch, en réalité à vingt kilomètres. Le cimetière militaire “allemand” que visite Jim est près du Molkenrain, c’est celui de l’Hartmannswillerkopf (Le Vieil-Armand). 

Le quart nord-est de la France a souvent servi de cadre à des histoires intenses, en accord avec ses saisons plus marquées qu’ailleurs. On regrette que peu de cinéastes se soient intéressés à sa contrée dont le nom est pourtant le plus connu dans le monde : la Champagne ! 

A suivre … Épisode 6 : La Normandie

Retrouvez l'épisode 1 sur la région Rhône-Alpesl'épisode 2 sur la région Aquitainel'épisode 3 sur la Corse et l'épisode 4 sur la Bretagne.

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