Visitez la France avec le cinéma français - Épisode 4 : La Bretagne

Une forte identité régionale, des côtes rocheuses et découpées attaquées par un océan tempétueux, de nombreuses îles qui forment autant de microcosmes, des ports de pêche à la longue histoire font de la Bretagne une terre qui tout à la fois attire et appelle au départ. Contrée de héros et de légendes, mais aussi terre de marins et de paysans, fiers de leurs racines celtes et dont la vie a souvent été rude, elles est pour d’autres villégiature de vacances et espace de rêves. Il n’est pas étonnant que les réalisateurs aient souvent été séduits par cette terre au bout de l’Europe. 

L’île est propice au thème de la solitude, de l’isolement. En 1980, Alain Resnais tourne Mon oncle d’Amérique. Dans ce film très didactique, le réalisateur analyse les comportements de l’homme en société. L’un de ses trois personnages, Jean, né sur un îlot, y revient plusieurs fois. L’île symbolise le lieu où, loin de la vie sociale, l’homme est seul avec lui-même, c’est ici que Jean (Roger Pierre) renoue avec les pulsions primitives de l’enfance. Cette petite île inhabitée, près de la côte du Morbihan est l’une des îles Logoden. C’est là qu’Alain Resnais durant son enfance se rendait en canot à l’insu de ses parents pour jouer à Robinson Crusoé.

Plus encore que l’île, le phare est symbole d’isolement. En 2004, c’est dans le phare des Héaux, près de l’île de Bréhat que Jean-Pierre Jeunet tourne pour Un long dimanche de fiançailles les premières rencontres entre Manech (Gaspard Ulliel) et Mathilde (Audrey Tautou), et c’est dans le phare d'Eckmühl, à la Pointe de à Penmarc'h dans le Finistère, que Mathilde attend son fiancé. La même année, le phare de La Jument, en mer d’Iroise, au sud de l’île d’Ouessant est au centre de L’équipier, de Philippe Lioret. Secret de famille et rejet de l’étranger sont au cœur de cette histoire intimiste.

C’est aussi une forme de huis-clos qui intéresse Chabrol lorsqu’il s’attaque à la bourgeoisie des petites villes de province. Pour cela, il revient souvent en Bretagne : en 1969 à Quimper pour Que la bête meure, en 1982 à Concarneau et Quimper pour Les fantômes du chapelier, en 1985 à Dinan pour Inspecteur Lavardin, et à Saint-Malo pour La Cérémonie en 1995 et pour Au cœur du mensonge en 1999. Mais loin de la Bretagne touristique, Chabrol recherche essentiellement ici un climat provincial.

En 1987, à l’opposé du huis-clos, Philippe de Broca propose avec Chouans! un film héroïque et romantique. Il y prend des libertés avec l’Histoire, mais il nous fait visiter certains des plus beaux sites bretons. On reconnaît Locronan, village emblématique du Finistère où il tourne durant trois semaines, quelques années après que Polanski en ait fait un village anglais pour les besoins de Tess. Jean-Pierre Jeunet y tourne aussi la scène finale d’Un long dimanche de fiançailles. On reconnaît aussi dans la rocambolesque scène finale de Chouans! l’impressionnant Fort-La-Latte, dans les Côtes-d’Armor, en face du cap Fréhel. Cette forteresse est le décor d’une dizaine d’autres films, depuis Les Vikings de Richard Fleischer en 1958, jusqu’à Une vieille maîtresse de Catherine Breillat en 2007, en passant par Ridicule de Patrice Leconte. Pour Chouans!, De Broca tourne aussi dans le Morbihan, entre autres lieux dans le village musée de Poul Fetan, et sur les côtes insulaires de Hoëdic et de Belle-Ile-en-Mer. C’est dans cette dernière que le réalisateur a choisi d’être enterré. 

Dans ce film de Philippe De Broca, c’est la Bretagne rurale de la fin du 18e siècle que l’on découvre. C’est le début du 20e siècle qui est l’objet de l’adaptation du roman de Pierre-Jakez Hélias, Le cheval d’orgueil, tournée par Claude Chabrol en 1980 entre Pays Bigouden et Cap Sizun. Le film décrit fidèlement la vie et l’environnement d’une famille paysanne à cette époque. C’est finalement dans son film le moins chabrolien que le réalisateur a vraiment filmé la Bretagne. La campagne bretonne du 20è siècle est quant à elle filmée en 1997 par Manuel Poirier dans Western. Ce film n’est pas un western, mais il se déroule à l’extrême ouest du continent. C’est un road-movie dans la Bretagne rurale, en voiture, en autocar, à pied, (et même sur les mains ou en brouette !) Il relate les pérégrinations et les amours de deux oubliés de la société entre Le Guilvinec et Pont-l’Abbé. Les ambiances portuaires, les routes et la campagne du Pays Bigouden dans la grisaille ou dans la lumière de l’aube font découvrir une Bretagne plus réelle que dans la plupart des films. 

Depuis 1951 et Les vacances de Monsieur Hulot, de Jacques Tati, les plages bretonnes sont souvent au cinéma synonymes de vacances – bien qu’administrativement Saint Marc-sur-Mer où Tati a tourné soit en Pays-de-Loire ! En 1977, Michel Lang tourne à Locquirec, sur la Côte de Granit Rose, Hôtel de la plage- le nom même de l’hôtel de Monsieur Hulot.

Dans Conte d’été d’Eric Rohmer en 1996, la plage est le lieu des vacances, c’est aussi le lieu de la vacance, de l’incertitude sentimentale et existentielle de la jeunesse. Gaspard (Melvil Poupaud) hésite entre les deux rives de la Rance, entre Margot à Dinard, Léna à Saint-Lunaire et Solène à Saint-Malo. Le cheminement et les revirements de Gaspard s’effectuent au cours de conversations menées au gré de promenades sur le rivage ou sur des chemins de douaniers ; ces balades amoureuses occupent la moitié du film. Quant à l’île d’Ouessant, elle n’est pour le héro qu’un projet ou un rêve. Gaspard repart seul comme il était venu par le bac qui relie Saint-Malo à Dinard.

En 1993, dans Petits arrangements avec les morts, Pascale Ferran traite de la vie et de la mort sur le lieu symbolique qu’est l’estran, cette partie de la plage que les marées recouvrent. Le film débute par un long travelling sur une plage d’Audierne et se termine sur la même plage. Un homme construit un château de sable, sous le regard de trois personnages. Chacun des trois, le regardant, reconstruit sa propre histoire après la mort d’un proche survenue durant son enfance, de la même façon que l’homme reconstruira son château détruit par la mer. Pour Pierre Trividic, coscénariste, « une plage ressemble à une salle de spectacle dont la scène resterait vide [] On est tous dans le même sens, on regarde vers la mer… » Chacun peut se raconter le spectacle, c’est ce que font les trois observateurs. 

La comédienne Anne Le Ny, Parisienne aux racines bretonnes choisit de mettre en avant l’aspect romantique et mystérieux de la Bretagne. À l’été 2011, elle tourne Cornouaille, son troisième long métrage, près de la maison de vacances de sa famille. «Ma Cornouaille est à la fois un lieu familier et un peu rêvé » déclare t-elle. Le film se déroule essentiellement à Plouhinec (celui du Finistère) ; des scènes ont été tournées à Plogoff, dans la Baie des Trépassés, à Cléden, à Audierne et à Quimper. Sorti en 2012, il aborde un thème connu : suite à un héritage, une parisienne (Vanessa Paradis), affronte un passé oublié. On explore, avec les personnages, plages, caps et chemins côtiers. On y trouve beaucoup de la lumière changeante de la baie d’Audierne et de la nature bretonne, sauvage et parfois hostile, et un peu de sa légende celtique.

Ce thème du retour vers le passé était déjà traité en 1995 par Jacques Becker dans Élisa, avec la même actrice dans le rôle principal. Quittant la banlieue parisienne pour l’île de Sein, c’est sous la pluie, dans le vent et la tempête, que Marie (Vanessa Paradis) renoue avec son histoire et trouve l’apaisement. Avec elle, Jacques (Guillaume Depardieu), le peintre des naufrages, remontera aussi à la surface. La belle arrivée sur l’île où se profile Ar Guéveur (Le Grand Chien) triche un peu avec la réalité puisque la tour blanche d’Ar Guéveur n’est pas un phare du port, mais une corne de brume sur la passe des Millinou, de l’autre côté de l’île. Mais, comme dans Cornouaille où les déplacements de l’héroïne d’Anne Le Ny peuvent surprendre les habitants du Cap Sizun, Jacques Becker crée sa propre topographie. Car les réalisateurs, s’ils aiment ancrer leurs personnages dans des lieux réels, soumettent souvent ces lieux à leur imaginaire.

À suivre … Épisode 5 : Le Nord-Est (Alsace, Lorraine, Franche-Comté et Champagne-Ardenne)

Retrouvez l'épisode 1 sur la région Rhône-Alpesl'épisode 2 sur la région Aquitaine, et l'épisode 3 sur la Corse.

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