Un Oscar d’honneur pour Jean-Claude Carrière

Impossible de dénombrer les courts ou longs métrages, documentaires, séries et téléfilms auxquels a participé Jean-Claude Carrière. Scénariste, adaptateur, dialoguiste, traducteur, réalisateur, auteur-compositeur, acteur, il est probablement au générique d’environ 200 œuvres ! 

L’académie des Oscars remet ses trophées en février, mais depuis 2009 les Oscars d’honneur sont remis au mois de novembre précédent, de même que le prix de l’engagement humanitaire. C’est donc le 8 novembre 2014 que Harry Belafonte recevra le prix humanitaire et que Hayao Miyazaki, Maureen O'Hara et Jean-Claude Carrière recevront un Oscar d’honneur. Un coup de projecteur sur ce créateur qui aime être un homme de l’ombre. 

Ancien élève de Normal Sup, il est d’abord écrivain, signant son premier roman à 26 ans, en 1957. Il rencontre le cinéma l’année suivante lorsque son éditeur lui confie l’adaptation romanesque de deux films de Jacques Tati, Les vacances de monsieur Hulot et Mon oncle, romans qui seront illustrés par Pierre Etaix. C’est le début d’une collaboration avec Pierre Etaix, comédien qui passe à la réalisation. Tous deux coécrivent d’abord deux courts-métrages, puis deux longs, Le Soupirant en 1963 et Yoyo en 1965. Le succès et deux autres films suivront.

A partir de 1964, il va employer son talent d’adaptateur en sens inverse, en scénarisant de nombreux romans pour le grand écran. Pour Luis Buñuel d’abord, avec Le journal d’une femme de chambre dès 1964, puis Belle de Jour en 1967. Il poursuivra cette collaboration en cosignant avec le réalisateur espagnol les scénarios originaux de tous ses films français : La voie lactée (1969), Le charme discret de la bourgeoisie (1972), Le fantôme de la liberté (1974) Cet obscur objet du désir (1977). 

Des rencontres dans le monde entier

Il poursuit alors parallèlement l’adaptation et l’écriture de scénarios originaux, très souvent en collaboration avec les réalisateurs, car il se dit lui même meilleur lorsqu’il travaille avec un autre. En France, il débute une intense collaboration avec Jacques Deray pour La piscine en 1969, puis, les trois années suivantes, Borsalino, Un peu de soleil dans l'eau froide et Un homme est mort. Il signera encore avec lui deux autres films et trois téléfilms. Avec Louis Malle, il écrit en 1966 Viva Maria! qui réunit Brigitte Bardot et Jeanne Moreau, l’année suivante, Le voleur, et Milou en mai en 1990. Parmi ses autres films les plus marquants, on peut citer Sauve qui peut la vie avec Jean-Luc Godard en 1980, Le retour de Martin Guerre avec Daniel Vigne en 1982 et avec Jean-Paul Rappeneau, Cyrano de Bergerac en 1990 et Le hussard sur le toit en 1995.

Curieux du monde dès son enfance, il scrute les albums de Tintin pour connaître le monde au-delà des montagnes qui entourent son village. Adulte, il devient un voyageur avide de découvertes et de rencontres. Cette soif de connaître le fait collaborer avec des cinéastes du monde entier, d’abord des Espagnols: Jesús Franco, Luis García Berlanga, Carlos Saura, Fernando Trueba et surtout Luis Buñuel, déjà cité, qui a dit de lui “c’est un petit paysan qui s’émerveille de tout ce qui lui arrive ”. Luis Buñuel va l’influencer durablement en lui faisant découvrir le surréalisme et en lui donnant ce conseil : “Il faut toujours accueillir le hasard dans la vie et le refuser dans les scénarios”. Amoureux de la culture espagnole, il publie Mémoire Espagnole en 2012. “J’ai trouvé une Espagne plus profonde, plus étrange à nos yeux, plus lointaine aussi que celle que j’imaginais” dit-il. En 1982, il assiste le cinéaste espagnol dans l’écriture de ses mémoires, Mon dernier soupir. Il poursuivra ce dialogue après la mort de Buñuel en publiant Le réveil de Buñuel en 2011. 

Jean-Claude Carrière travaille aussi pour des réalisateurs britanniques: Peter Glenville, Jon Amiel, et bien sûr Peter Brook pour La tragédie de Carmen en 1983 ; ils travailleront ensemble pour la scène pendant trente-cinq ans. Des cinéastes américains font également appel à lui: Philip Kaufman avec qui il adapte L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera en 1988, Donald Petrie, Wayne Wang et Milos Forman pour qui il scénarise Les Liaisons dangereuses dans Valmont sorti en 1989. Il collabore aussi avec les Italiens Marco Ferreri, Luciano Tovoli, Gianfranco Mingozzi, et Anna Maria Tatò et les Allemands Peter Fleischmann, et surtout Volker Schlöndorff – Le tambour en 1979, Le faussaire en 1981, Un amour de Swann en 1984. Et encore avec le Polonais Andrzej Wajda pour Danton en 1983 et Les possédés en 1988, le Dannois Henning Carlsen, le Japonais Nagisa Ôshima pour Max mon amour en 1986, l’algérien Mohammed Lakhdar-Hamina, le Brésilien Hector Babenco, et l’Afghan Atiq Rahimi pour Synghé Sabour, pierre de patience en 2012. 

Un brillant touche-à-tout

Jean-Claude Carrière est également l’auteur d’une douzaine de pièces de théâtre, souvent mises en scène par Peter Brook. Parmi elles, sa pièce historique, La Controverse de Valladolid, jouée la première fois en 1999. Elle est tirée de son roman publié en 1992, déjà adapté pour la télévision la même année. Inscrite depuis une dizaine d’années à différents baccalauréats, cette œuvre a acquis le statut d’un classique de la littérature. De nombreuses adaptations théâtrales sont aussi à son crédit : d’abord des traductions, dont quatre pièces de Shakespeare montées par Peter Brook, puis l’adaptation de récits anciens : La conférence des oiseaux, L’Odyssée…et surtout Le Mahâbhârata, la grande épopée indienne dont il dit que, toujours vivante, elle est le ciment de l’Inde. Il y travaille onze ans, avant sa création à Avignon en 1985. Une version narrative, un film et une adaptation pour la télévision suivront. Il fait des dizaines de séjours dans ce pays et publie notamment un Dictionnaire amoureux de l'Inde et un livre d’entretiens avec le Dalaï-Lama qui y réside.

Créateur infatigable, il adapte pour la télévision, Balzac, Victor Hugo, Roger Martin du Gard, Shakespeare et Tchekhov ; il signe plusieurs livrets d’opéras ; il écrit des chansons pour Juliette Gréco, Delphine Seyrig, Hanna Schygulla, Jeanne Moreau, un scénario de bande dessinée, des polars signés d’un pseudonyme collectif et publie des essais, des entretiens, un recueil de contes rapportés du monde entier et un autre de ses dessins… Attaché au partage de l’expérience et à l’émergence de jeunes talents, il est le premier président, de 1986 à 1996, de la FEMIS, l’école nationale du cinéma, et préside actuellement le Printemps des Comédiens, festival qui se tient à Montpellier, à quelques dizaines de kilomètres de son village natal. Conférencier passionné, il se rend très souvent aussi dans les collèges et lycées pour parler de La Controverse de Valladolid. 

Souvent remarqué et récompensé par les professionnels, Jean-Claude Carrière reste assez peu connu du public. Dès 1962, il reçoit l’Oscar du meilleur court de fiction pour Heureux anniversaire, coréalisé et coécrit avec Pierre Etaix. Par la suite, l'Académie des Oscars le nominera trois fois pour ses longs métrages. Il obtient une seule récompense à Cannes, le Prix spécial du jury en1969 pour la réalisation de son court métrage La pince à ongles. César du meilleur scénario en 1982 pour Le retour de Martin Guerre, récompensé par l’académie britannique du cinéma en 1989 pour l’adaptation de L'insoutenable légèreté de l'être, il obtient également trois 7 d’or pour ses scénarios de téléfilms. Au théâtre, nominé à cinq reprises, il reçoit un Molière en 1991 pour une adaptation française de La tempête de Shakespeare. 

Jean-Claude Carrière qui n’a jamais cherché le devant de la scène n’a pourtant jamais cessé de travailler. Alors qu’il se dit parfois retraité, il a fini au printemps dernier de coécrire L’ombre des femmes, le dernier film de Philippe Garrel qui sortira dans quelques mois. Il donnera aussi des conférences avec des astrophysiciens et est déjà en train d’adapter Anne Christie, du dramaturge américain Eugène O'Neill. 

Un homme complet et complexe

Athée, mais intéressé par toutes les religions et par la spiritualité, attaché à sa terre natale et chez lui dans le monde entier, littérateur mais passionné de sciences, créateur qui aime faire connaître les œuvres des autres, hyperactif qui aime la lenteur, Jean-Claude Carrière est un auteur éclectique et paradoxal. Le choix de ses sujets trahit souvent sa formation d’historien, mais il s’intéresse aussi à la poésie, à la philosophie, à l’astrophysique, au mysticisme, aux légendes, à l’écologie. Et s’il est surtout connu pour des drames, il avoue avoir une passion pour Laurel et Hardy et n’a pas dédaigné la comédie. Car c’est avant tout un conteur. Il cite à ce propos un personnage du Mahâbhârata : “Il faut écouter les histoires. C’est agréable, et quelquefois, ça rend meilleur”. L’écouter discourir, avec un léger accent, héritage d’une enfance baignée dans le parler occitan, suffit à comprendre qu’il aime les histoires, “ces choses légères qui sont dans l’air et sont plus durables que les pyramides d’Egypte”. Il se définit d’ailleurs lui-même comme un raconteur d’histoires et avoue qu’il aime parler. 

Mais, contradictoire, il aime aussi la méditation, le rêve et le silence. Jean-Claude Carrière qui a déclaré un jour “le cinéma parlant a inventé le silence” est attentif à ce qui n’est pas dit, et - admirateur du surréalisme - à ce qui est derrière les mots et les choses. On comprend en l’écoutant qu’il perçoit la vie comme une histoire qui s’invente, qui se raconte et qui se rêve, et on suppose qu’en d’autres temps il aurait pu être aède, barde ou troubadour ! Et puisqu’il a décliné une proposition de candidature à l’Académie française, ce n’est pas sur une épée, mais sur son bâton de marche qu’on pourrait graver ces vers de Shakespeare, dits par Prospero dans La Tempête – qu’il a adaptée : “We are such stuff as dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep”. On est proche des religions indiennes - dont il est un grand connaisseur - pour qui un voile donne l’illusion de la réalité à notre monde qui n’est qu’un rêve. 

Paradoxalement, celui qui affirme que “dans l’économie la plus terre à terre d’aujourd’hui, il y a un appétit de surnaturel” est aussi un homme attaché au réel et à la terre, un homme qui a conservé la maison dans laquelle il est né et qui est fier de pouvoir dire : “Je sais greffer un arbre, je sais labourer avec un cheval, je sais tailler la vigne.” 

DM

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