Pourquoi les salles américaines s’ouvrent si peu aux films non anglophones ?

Plusieurs raisons essentielles à cet état de fait : la recherche de rentabilité maximum, la toute puissance des majors, le manque d’audace des distributeurs. 

Si l’on regarde le box office américain sur les 12 derniers mois, le premier film non-anglophone est indien, il n’arrive qu’au 136e rang des recettes. La raison principale est toujours la même : la frilosité des distributeurs. Les blockbusters ou plus généralement les films des majors américaines sont projetés dans plus de 4000 salles à travers le pays, soit sur environ 10% des écrans américains. Les 15 films étrangers qui ont le plus de succès sur les derniers 12 mois ont été diffusés en moyenne dans 140 salles.

Mais ce nombre cache une autre disparité : sur ces 15 films, 8 sont indiens et ont été distribués en moyenne dans 185 salles, les sept autres se sont contentés de deux fois moins d’écrans. Ce relatif succès des films indiens s’explique aussi par le calcul financier des distributeurs. L’Inde est de très loin le premier pays producteur de films, et même si le cinéma de Bollywood, c’est-à-dire en Hindi, n’est pas majoritaire, il est vu dans tout le sous-continent où il fait chaque année plusieurs milliards d’entrées. Ce sont donc des films déjà très bien rentabilisés et donc moins chers qui entrent sur le territoire américain. Il faut ajouter que depuis plusieurs années, l’Inde est, derrière le Mexique et la Chine, le troisième pays d’émigration vers les Etats-Unis, ce qui apporte à ces films un public qui n’a majoritairement pas besoin de sous-titres. 

Les autres films non anglophones qui font une audience satisfaisante aux Etats-Unis sont des films primés ou souvent nominés. Là encore un moindre risque pour les distributeurs qui bénéficient de la couverture médiatique des festivals. Le risque est d’autant plus contrôlé que les sorties sont limitées en moyenne à 80 salles environ. Les sept films qui complètent ce palmarès des quinze étrangers les mieux classés sont en effet, dans l’ordre, La Grande Bellezza, La vie d’Adèle, Gloria, L’attentat, Wadjda, Le Passé, et Ida. On notera que si un seul est français, trois des six autres ont été coproduits par des sociétés françaises, fruit d’une politique délibérée des producteurs français. Des producteurs européens sont impliqués dans les trois autres. Le premier film français, La vie d’Adèle, est 165è au box office, les suivants sont cent places plus loin. Le cinéma français est pourtant le mieux placé après le cinéma indien. 

La politique inflationniste dans la production des blockbusters est aussi une cause de cette rareté de l’offre non anglophone. Les superproductions mobilisent une pléiade de stars et de gros moyens promotionnels. La rentabilité de ces films, même si elle ne repose pas seulement sur le grand écran, est en grande partie dépendante des résultats de leur semaine de sortie car ils courent le risque d’être rapidement supplantés. D’où pour chacun d’eux la nécessaire mobilisation d’un grand nombre de salles. 

Le succès du week-end de sortie est d’autant plus important que les premiers résultats sont amplifiés par les médias. Ceux-ci, déjà vecteurs de la publicité massive des studios Hollywoodiens se font peu l’écho des sorties des autres films ; mis à part dans quelques grands quotidiens et des revues spécialisées, les chroniqueurs se risquent peu à critiquer les films non anglophones, sans doute par manque de curiosité. 

On ne peut reprocher à des financiers de vouloir faire du profit, mais, comme dans le reste de l’industrie, la recherche de l’investissement avec zéro risque est nuisible à l’innovation. Appliquée à l’industrie cinématographique, cette frilosité nuit gravement à la diversité de l’offre et contribue à l’uniformisation du goût. Produits et distribués en dehors des majors, les films indépendants américains, doivent aussi composer avec cette politique du chiffre. Les films étrangers doivent en plus affronter la barrière de la langue.

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