Pourquoi le football pourrait révolutionner le cinéma français

Canal +, acteur majeur du financement du cinéma hexagonal, a subi un gros revers avec la perte des droits du championnat de France de football à partir de 2020. La chaîne privée devrait voir ses recettes publicitaires et son nombre d’abonnés s’effondrer et ainsi réduire son investissement dans le cinéma. Assez pour mettre à mal le modèle de l'industrie cinématographique française et enclancher plus tôt que prévu sa révolution.

Canal+ a toujours été en France la chaîne du cinéma et du football. La perte du second pilier de C+ pourrait mettre à mal le premier. Fin mai, la Ligue Professionnelle de Football a en effet annoncé que les droits du championnat de France seraient partagés entre le groupe sino-espagnol Mediapro et BeINSports, pour un montant record de 1,15 milliard d’euros. Canal+ rentré bredouille de l’appel d’offres pourrait tout de même signer des accords de sous-licence et diffuser quelques matches dans l’année, mais probablement aucune des rencontres phares, celles qui génèrent le plus de revenus publicitaires.

Certains analystes estiment que la chaîne cryptée pourrait perdre la moitié de ses 4,7 millions d’abonnés et subir une baisse des revenus d’un milliard d’euros par an… De quoi faire réagir Mathieu Debusschère, délégué général de la Société civile des auteurs réalisateurs producteurs (ARP), qui a déclaré au micro de RFI, « C’est clairement un séisme, une fracture profonde dans le modèle de Canal. En tout état de cause, en termes d’image pour Canal, c’est un argument très fort qu’il vient de perdre. (…) Canal est quand même lié au cinéma français dans les deux années qui viennent par le biais d’un accord qu’on a signé il y a quelques temps. ». Canal + n’a pas pour l’instant pas réagi sur le sujet précis du financement du cinéma. Le patron de la chaîne, Maxime Saada a simplement ironisé, affirmant « qu’au moins, Canal ne mourra pas d’avoir sur-payé des droits sportifs ».

Canal+, moteur du cinéma français

Depuis sa création en 1984, la chaîne cryptée se doit de consacrer 9,5 % de son chiffre d'affaires au pré-achat de films et reçoit en échange l’autorisation de diffuser les longs-métrages en amont de la concurrence. En 2016, C+ a ainsi dépensé 151 millions d’euros dans le cinéma français, un montant qui a déjà bien diminué sur les cinq dernières années, puisqu’en 2011, 173 millions d’euros avait été investis dans le cinéma français. Pour Nathalie Perus, présidente de French In Motion, une organisation basée à New York qui rassemble des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel travaillant entre la France et les Etats-Unis, « avant même la perte des droits du football, Canal+ a à la fois perdu un nombre très important de ses abonnés et a dû baisser drastiquement le prix de ses abonnements. Cela fait donc quelques années que le recul de Canal+ dans la production cinéma se fait ressentir et que les producteurs se sont faits à l'idée ».

Les premiers touchés sont les films à petit budget, pas assez commerciaux et sans acteurs ou actrices bankables au casting. Pour autant, précise Nathalie Perus, « Aujourd'hui, c'est moins sur le volume de films que cela joue car Canal+ a besoin de films pour nourrir sa grille au quotidien et le cinéma est toujours la première motivation à l'abonnement. La baisse affecte surtout le montant alloué à chaque film, 1,2 M€ en moyenne au lieu de 1,5 M€ en 2015 ».

« Canal+ ne peut pas rester le banquier du cinéma français »

Chaque année, les chaînes et services de cinéma dépensent 350 millions d'euros en acquisitions d'œuvres françaises. Canal+ est le plus gros contributeur avec 40 % de ce montant, et investit dans environ les trois quarts des longs-métrages français produits. Didier Diverger, de l'organisme de crédit Natixis Coficiné spécialisé dans le cinéma, estime que les films auront sans doute plus de mal  à se faire financer, mais qu’in fine cela pourrait bénéficier au cinéma hexagonal, la France produisant trop de films pour son bien selon lui. « Nous ne sommes pas à l’aube d’une transformation des modes de distribution et de consommation des films. Nous sommes en plein dedans » a-t-il affirmé dans Variety. « Nous avons besoin rapidement de renforcer nos lois anti-piratage et accepter que certains films sont faits pour le cinéma, d’autres non. »

Pour Nathalie Perus, « Il devient évident pour tout le monde que Canal+ ne peut pas rester le banquier du cinéma français et que le marché ne peut pas dépendre de la seule santé d'un acteur. Le fait qu'un groupe étranger comme Mediapro puisse rafler les droits du foot français et les diffuser depuis l'Espagne, relance le problème de l'internationalisation des contenus et services et l'impossibilité d'imposer aux groupes qui diffusent depuis l'étranger les mêmes obligations de contribution à la création française. » Une problématique qui s’était déjà posée lorsque le site américain Netflix avait décidé d’investir le marché du streaming légal en France.

Un nouveau modèle pour le cinéma français tourné vers des coproductions internationales ?

Au-delà même des récentes contre-performances de Canal+, les chaînes hertziennes que sont France Télévisions et TF1 souffrent devant la multiplication des chaînes, le streaming légal et illégal, et pourraient elles aussi baisser drastiquement le montant qu’elles investissent dans le cinéma français. « Sur ces dernières années, de nombreux producteurs se tournent vers le financement privé comme aux Etats-Unis et l'on voit de plus en plus non seulement des fonds et des sociétés se créer pour rassembler des investisseurs institutionnels ou privés, mais aussi des producteurs qui auto-financent leurs films, dans une économie très raisonnable, pour les vendre ensuite », explique Nathalie Perus. « Les vendeurs internationaux par ailleurs, très dynamiques en France, interviennent de plus en plus en co-production et investissent des sommes importantes en amont sur les films qui ont un fort potentiel international ».

Un financement qui se focalise à la fois sur des œuvres très peu coûteuses et permet la pérénnisation du cinéma indépendant, et aussi sur des longs-métrages conçus et tournés pour plaire à un public international et dupliquer ainsi les revenus. « Nous sommes surpris de voir depuis trois ans, lors l'appel à projets de French in Motion pour l'IFP Week (un rendez-vous qui permet la rencontre de producteurs, réalisateurs ou scénaristes avec les grands noms de l’industrie du cinéma indépendant, ndlr) le nombre de projets internationaux initiés en France qui sont dans une démarche de financer leurs films à l'étranger ». Le football va t-il pousser le cinéma français à faire sa révolution. Réponse en 2020.

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