Pourquoi le film "Les Infidèles" sort en douce aux Etats-Unis ?

Pas de projection presse, pas de publicité, pas d'article, aucune trace sur le site du distributeur Weinstein, la comédie très provocatrice "Les Infidèles" avec Jean Dujardin et Gilles Lellouche sort aux Etats-Unis en faisant le moins de bruit possible. Explications de cette situation pour le moins étrange.  

Le New York Post est cette semaine l’un des rares médias à annoncer la sortie le 4 avril de “The Players” (Les infidèles), film à sketches de sept réalisateurs français. Le quotidien explique que son distributeur, la Weinstein Company, n’a pas fait de publicité presse ni organisé de pré-projection. Le film partage les salles avec De l’autre côté du périph, un film de David Charhon avec Omar Sy et Laurent Lafitte, qui n’a pas été montré non plus.

Interrogée sur sa stratégie marketing, la Weinstein Company n’a pas répondu. Le Post apporte la réponse : des sketches torrides (le film est classé" R" aux États-Unis, pour les plus de 17 ans), des affiches sexistes qui ont choqué en France et ont dû être retirées, des critiques presse françaises plutôt négatives sur cette tentative de parodie des comportements misogynes et un film à sketches qui au mieux lasse par ses longueurs lorsqu’il parvient à délaisser les plaisanteries au-dessous de la ceinture. De Dujardin y compris, ajoute l’auteur.

Il semble en effet que, pour Lou Lumenick, critique du New York Post, le plus choquant de tout cela est la présence de Jean Dujardin et sa complaisance à endosser ces rôles. Et il rappelle que le Times de Londres s’est demandé en 2012 si le public qui a acclamé le suave Dujardin de The Artist, avec sa moustache canaille et son sourire étincelant, a envie de le voir revenir dans un rôle de jouisseur irresponsable. Le public anglo-saxon qui a applaudi le séduisant Frenchie connaît rarement Brice de Nice, Hubert Bonisseur de La Bath et Loulou. Il ignore le plus souvent le goût de Jean Dujardin pour les personnages ridicules, horripilants et adeptes de plaisanteries stupides, et son aptitude à la provocation, la parodie et l’autodérision. D’où le malentendu.

Un sketch sur les attentats du 11-Septembre coupé au montage 

Rajoutons aux caractéristiques des personnages endossés par Jean Dujardin, le politiquement incorrect, et on a une autre raison à ce rejet. Aux Etats-Unis, le premier amendement de la constitution garantissant la liberté de parole, on peut entendre ou lire dans les médias des prises de position sexistes, racistes ou homophobes, aussi injurieuses soient-elles. Mais on stigmatise très vite les images transgressives. Le fait de se déguiser en geisha aux American Music Awards a récemment valu à Katy Perry d’être considérée par certains comme raciste. Ces transgressions sont d’autant moins acceptées lorsqu’elles se rapportent à la sexualité. Le premier amendement prévoit d’ailleurs que l’obscénité peut être limitée. Si l’affiche du film a effectivement été retirée en France après que “l'autorité de régulation professionnelle de la publicité” a reçu quatre plaintes de particuliers, ce retrait a plus choqué que le film lui-même et n’est intervenu que lorsque cette campagne d’affichage provocatrice touchait à son terme. 

En bref, Lou Lumenick n’a vu que la bande annonce, qu’il a d’ailleurs trouvée confuse, et prêterait à Harvey Weinstein ses propres préjugés sur ce film. Il est troublant malgré tout que le film ne figure pas sur le site de la société qui met en avant les films qu’elle distribue et ceux à venir. Mais De l’autre côté du périph en est absent aussi, et bien qu’il n’ait pas suscité l’enthousiasme en France, il est dans un registre plus familier aux Américains. Par ailleurs, le New York Post reconnaît que ce n’est pas la première fois que la Weinstein sort un film sans en faire la promotion ; ce fut notamment le cas pour Pinocchio avec Benigni, lui aussi Oscarisé auparavant. Il faut cependant admettre que la société de distribution n’est pas à l’aise avec le sujet du film comme l’indique le changement de titre aux États-Unis.

Le Post évoque aussi un sketch coupé au montage final qui n'a jamais été diffusé en France car il aurait pu embarrasser Jean Dujardin pour l’obtention de son Oscar. On y voit, avec en arrière-plan le crash des avions sur les Twin Towers, son personnage en train de tromper sa femme tout en lui assurant au téléphone que tout va bien. La production a expliqué que cette coupure n’avait eu pour but que d’assurer la cohérence du film. Un neuvième sketch, situé dans un ascenseur, a également été supprimé pour la même raison, sacrifiant Mélanie Doutey, compagne de Gilles Lellouche, acteur et co-producteur du film. Lou Lumenick entretient cependant l’idée que cette séquence n’est peut-être pas coupée dans la version américaine. Il faut noter que la version DVD contient la séquence de l’ascenseur, mais pas la séquence new-yorkaise jamais montrée.

Quant aux critiques françaises, il s’avère qu’en 2012 elles ont été plutôt favorables. Le Point l’a trouvé très drôle et parfois dérangeant, “mettant plutôt l'accent sur le caractère pathétique des hommes infidèles” - un film dans lequel les femmes s'en sortent très bien. Première a loué l’engagement des acteurs, notamment celui de Jean Dujardin qui révèle son côté obscur. Pour Le Figaro, c’est un film irrévérencieux, un pari réussi avec brio et “il y avait longtemps qu'on n'avait pas décrit avec une telle alacrité l'enfer conjugal et la misère de la virilité à tout prix”. Pour L’Express c’est un “ensemble de sketches quasiment tous réussis”, “c'est drôle, gonflé, réjouissant, cruel et osé”. Pour Le Nouvel Observateur le film est une réussite et la stratégie marketing qui le présente comme une comédie à l’humour très « cour d’école » ne rend pas justice à sa vraie nature qui évite à la fois la misogynie et le discours moralisateur.

L’imprévisible Harvey Weinstein n’a pas toujours bien défendu les films qu’il sortait. Il a pourtant cette fois pris le risque de sortir ces deux films dans une cinquantaine de salles, ce qui est plus que pour la plupart des films étrangers en V.O. On peut imaginer qu’il a simplement fait l’économie d’une publicité pour ces films achetés sur les noms de Jean Dujardin et Omar Sy, l’un ayant reçu un Oscar en 2012, l’autre étant en vedette dans le film pour lequel Weinstein avait fait campagne la même année. L’aura de film scandaleux qui entoure le premier des deux peut en effet suffire à faire écrire les critiques et à provoquer un buzz auquel nous participons ! Le choix de la Weinstein Company ne cacherait-elle donc pas, comme la campagne médiatique française, une stratégie marketing ? Dans tous les cas, chacun pourra juger, s’il le désire, de l’opportunité d’avoir montré ce film aux États-Unis.

Cliquez ici pour connaître les séances du film aux Etats-Unis et voir la bande-annonce.

DM

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