Le roman français du 19e : une mine pour le cinéma français et hollywoodien

On annonce pour février 2014 la sortie aux USA de In Secret, tiré du roman Thérèse Raquin de Zola, présenté au festival de Toronto en septembre 2014 sous le titre Therese. Sortie annoncée aussi en 2014 aux USA de Madame Bovary, adapté de Flaubert, tourné en Basse-Normandie par Sophie Barthes, cinéaste française indépendante qui vit aux EtatsUnis. Outre la proximité de destin des deux rôles titres, on remarque qu’il s’agit de n-ièmes adaptations de romans français du 19e siècle. Qu’ils soient romantiques ou naturalistes, auteurs de romans historiques ou de science fiction, les écrivains français de ce siècle qui voit le roman supplanter les autres genres ont beaucoup inspiré le cinéma. 

Transposé, revisité, parodié, plébiscité, le roman le plus filmé au monde est sans contestation Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas (1802-1870) dont on ne peut compter les versions. Douglas Fairbanks, Gene Kelly, Georges Marchal, Jean Marais ou Michael York se sont frottés au rôle de d’Artagnan. En 1922, Max Linder en fait un personnage comique ; en 1953 celui d’André Hunebelle, chevalier en dentelles, est éclipsé par le rôle démesuré attribué à Bourvil dans le rôle du cabaretier Planchet ; en 1993 les scénaristes des studios Disney ont vu en lui un héros de BD ; en 1994 Bertrand Tavernier lui découvre une fille ; en 2011 Paul  Anderson en fait un guerrier ninja ! La version hollywoodienne de 1948 reste la meilleure aux yeux de la plupart des spectateurs. Avec Gene Kelly et Lana Turner, elle regarde parfois vers le western et on peut aujourd’hui la trouver un peu kitsch, mais elle est assez fidèle au récit original, rythmée et bien réalisée par George Sidney. 

Second champion de la réécriture cinématographique, Les Misérables de Victor Hugo (1802-1885), filmé quatorze fois entre 1909 et 2012, sans compter les séries et les téléfilms. Production la plus récente, la comédie musicale du Britannique Tom Hooper. En France on a pu voir en 1934 le film de Raymond Bernard pour qui ce roman fleuve a nécessité trois parties et mobilisé les monstres sacrés de l’époque Harry Baur, Charles Dullin, Charles Vanel et Marguerite Moreno. C’était déjà la troisième version française. Jean Paul Le Chanois remet ça en 1958, en deux époques et avec une autre pléiade de vedettes dont Gabin, Bourvil, Danielle Delorme et Bernard Blier. Robert Hossein s’y attaque à son tour en 1982 avec entre autres Lino Ventura, Michel Bouquet, Jean Carmet et Françoise Seigner – version en une seule projection de trois heures. Claude Lelouch lui succédera en 1995 : une très libre transposition bien accueillie en France et Golden Globe du meilleur film en langue étrangère. Tous ces films sont visibles en DVD. Hugo n’a d’ailleurs pas inspiré que les cinéastes : Verdi a tiré Rigoletto de l’une de ses pièces et parmi des dizaines d’autres transcriptions lyriques, ses deux romans anti peine de mort Les derniers jours d’un condamné et Claude Gueux sont à l’origine de plusieurs opéras (le dernier créé à Lyon en 2013).

Si plusieurs romans de Gustave Flaubert (1821-1880) ont été portés à l’écran, il faut accorder une mention particulière à Madame Bovary. L’histoire de cette fille d’un hobereau normand est universelle. Le roman a été adapté par Jean Renoir en 1934, en 1937 par un Allemand, en 1947 par un Argentin, par Vincente Minelli en 1949, par un Autrichien en 1969 (Die nackte Bovary), par un Russe en 1989 (Спаси и сохрани), par Claude Chabrol en 1991, par un réalisateur indien (माया मेमसाब ) et par un Portugais (Vale Abraão) en 1993 et en 2011 par un Mexicain (Las razones del corazón) ! On peut revoir facilement les versions de Minelli et de Chabrol, toutes deux intéressantes, et on attend celle de Sophie Barthes qui a eu la bonne idée, comme Claude Chabrol de réintégrer Emma Bovary dans le bocage normand propice aux langueurs. 

D’Emile Zola (1840-1902), on retiendra d’abord le chef-d’œuvre de Jean Renoir, La bête humaine que Jean Gabin tourne en 1938, la même année que Le quai des Brumes de Marcel Carné, autre film de légende (visible à Detroit ce 18 janvier). tl_files/actu/La bete humaine.jpgL’autre vedette du film est une locomotive Pacific 231 qui fera tourner la tête de tous les amoureux du rail. Mais on n’oublie pas Simone Simon qui y crée un archétype des femmes fatales des films noirs hollywoodiens. L’excellente transposition de Fritz Lang, Human Desire, sortie en 1954 reste inférieure à l’œuvre de Renoir. Beaucoup d’autres romans de Zola ont été portés à l’écran une ou plusieurs fois : La Terre, Pot-Bouille, Nana, Le rêve, La curée, La faute de l’abbé Mouret … Pour approfondir sa connaissance de l’œuvre de Zola, on pourra voir Au bonheur des dames avec Michel Simon, seconde production d’André Cayatte, tourné en 1943, malheureusement pas encore édité en DVD, Gervaise, de René Clément, en 1956, adaptation de l’Assommoir, et Germinal de Claude Berri en 1993, avec une grande distribution, ceux-là visibles en DVD de même que La bête humaine. Quant à Thérèse Raquin, si le film tourné en 2013 vous déçoit comme il a déçu la critique canadienne, tournez-vous vers celui de 1953 dans lequel Marcel Carné dirige magnifiquement Simone Signoret, Jacques Duby et Ralf Vallone.

Fort de plus de 90 romans écrits en une vingtaine d’années, Honoré de Balzac (1799-1850), possède aussi une très solide filmographie, mais peu de grandes réussites en émergent. On pourrait paradoxalement en voir la cause dans le fait que les romans de Balzac sont déjà cinématographiques, à la fois dialogués et descriptifs. Dans le fait aussi que les cinéastes ont cru souvent devoir atténuer l’inhumanité des personnages balzaciens. On retiendra Le Colonel Chabert d’Yves Angelo, sorti en 1994, septième adaptation du roman. Gérard Depardieu y délaisse sa truculence pour incarner admirablement le personnage dramatique et fantomatique du colonel qui surgit dix ans après qu’on l’a cru mort ; Fanny Ardant et Fabrice Luchini sont tout aussi remarquables. Adapté de La Duchesse de Langeais, on retiendra aussi Ne touchez pas la hache (c’était le titre du roman lors de sa première parution dans une revue). Il s’agit de l’un des derniers films de Jacques Rivette qui avait déjà puisé dans Balzac pour Out 1 : Noli me tangere en 1971 (un film de 12h30 !) et La belle noiseuse en 1991. Depardieu encore, mais c’est Guillaume cette fois dont le duel avec Jeanne Balibar qui joue la duchesse apporte la tension nécessaire aux dialogues, dans une lecture de Balzac fidèle et inspirée. Ces deux œuvres sont disponibles en DVD.

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A l’opposé de Balzac, Stendhal (1783-1842), de la même génération, a peu écrit. Lui qui voulait écrire pour les « happy few » n’était pas un auteur populaire. Deux films tirés de ses œuvres sont pourtant restés dans la mémoire collective grâce à Gérard Philippe qui interpréta successivement Fabrice del Dongo dans La chartreuse de Parme de Christian-Jacque en 1948 et Julien Sorel dans Le rouge et le noir de Claude Autant-Lara en 1954. Ces deux films doivent beaucoup à son interprétation, et on peut regretter qu’ils aient tous deux dû se plier aux contraintes budgétaires. Il s’agit de deux co-productions franco-italiennes et il n’est pas étonnant par ailleurs que Stendhal qui se voulait Italien ait souvent inspiré les réalisateurs transalpins dont Rossellini et Bertolucci.

Impossible de clore ce panorama des romans du 19e portés au cinéma sans évoquer Jules Verne (1828-1905), le maître du récit d’aventures et de science-fiction. Le premier à avoir exploité le potentiel cinématographique de Jules Verne est Georges Méliès, avec Le Voyage dans la Lune en 1902 (inspiré par De la terre à la lune), Le voyage à travers l’impossible en 1904, Vingt mille lieues sous les mers en 1907 et  À la conquête du pôle en 1912 (tiré des Aventures du capitaine Hatteras). Par la suite les studios d’Hollywood mettront leurs grosses machineries au service de l’œuvre de Jules Verne pour le plus grand bien des producteurs et pour le plus grand plaisir des spectateurs de tous âges. On peut retenir Vingt mille lieues sous les mers avec Kirk Douglas, réalisé par Richard Fleisher en 1954, Oscar des meilleurs effets visuels grâce entre autres au poulpe géant ! Et Voyage au centre de la terre, de 1959 - nominé pour l’Oscar des meilleurs effets visuels (attribué cette année-là à Ben-Hur qui en reçoit onze).

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Né juste après la disparition de ces grands auteurs populaires, le cinéma, mêlant souvent romantisme et réalisme, a d’emblée été tenté d’en reprendre les recettes. Pour être juste, il faut préciser que les deux grands auteurs russes Dostoïevski et Tolstoï ont aussi largement été portés à l’écran et que l’auteur le plus adapté n’est pas un romancier, mais un dramaturge né au 16e siècle : William Shakespeare.

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