Pourquoi les Américains aiment le cinéma français ?

Avec leur mise en scène souvent singulière, les films hexagonaux ne se ressemblent pas et perpétuent auprès des Américains le mythe d'un cinéma français différent et toujours surprenant. L'inverse du cinéma hollywoodien d'aujourd'hui.

Aux États Unis, le cinéma français est souvent présenté comme “art house cinema”, un cinéma d’auteurs, donc pas formaté et très diversifié. Pour cette raison, il est souvent perçu comme surprenant et audacieux. On vante la capacité des réalisateurs français à se renouveler à l’exemple de Patrice Leconte qui a pu réaliser Les bronzés aussi bien que La veuve de Saint-Pierre, Alain Resnais qui a sorti des films aussi dissemblables qu’Hiroshima, mon amour et On connaît la chanson, ou Bertrand Tavernier dont on a vu Dans la brume électrique avant de voir Quai d’Orsay.

On est curieux aussi aux Etats-Unis des premiers films qui sortent tous les ans en France en grand nombre. La production qui en résulte, éloignée des films dont les personnages doivent enchaîner des actes à chaque instant, montre une palette d’écriture cinématographique dont on apprécie l’étendue. On affectionne la narration laconique d’Un long dimanche de fiançailles tout en aimant aussi les histoires portées par la vivacité de dialogues comme ceux de Quai d’Orsay. On n’est pas dérouté par les fantaisies du déroulement de l’action, qu’il soit linéaire (Elle s’en va), elliptique (Suzanne) ou soumis à des allers-retours dans le temps (La Môme).

On peut apprécier la photographie naturaliste d’un film dramatique comme La cérémonie, aussi bien que l’image poétique d’un film onirique comme Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. On admire la lumière de Renoir ou de L’inconnu du lac après avoir aimé les clairs-obscurs de Thérèse. La “Nouvelle Vague” a fait admettre que tout est possible dans la façon de raconter et de montrer, mais on remarque surtout le fait que, même mis en scène de façon classique, les films français n’auraient pas eu la même singularité s’ils avaient été réalisés par des américains. C’est le cas pour les thrillers comme Léon, Ne le dis à personne ou Dans la maison. C’est le cas aussi des comédies, qu’elles soient qualifiées de “romantic” (Prête-moi ta main, Populaire) “screwball” (Le dîner de cons, Quai d’Orsay), “nasty” (Un air de famille, Le prénom) ou “heartwarming” (Intouchables).

Des intrigues parfois secondaires

Le cinéma français est généralement vu aussi comme un cinéma qui n’a pas peur d’une lenteur délibérée et de dialogues paresseux, qui respecte les hésitations, les mouvements de la conscience et les errances de la vie, ce qui donne de l’humanité aux personnages. Les spectateurs américains soulignent que cette lenteur, absente des films hollywoodiens (présente cependant dans les films US indépendants come Into the Wild), permet au spectateur de se nourrir d’autre chose que de pop-corn !

L’histoire suit le rythme de la vie, ce rythme n’est pas celui du super héros qui a un but et un temps imposé. Depuis A bout de souffle ou Les 400 coups, les spectateurs américains sont habitués à ces anti-héros dont on aime les défauts et auxquels on peut s’identifier. C’est par ailleurs un cinéma dont l’intrigue peut être secondaire ou faite de riens – ce qui, exception linguistique française, n’est pas rien ! Car plutôt que sur des scénarios très élaborés, les films sont axés sur les personnes et leur vie intérieure, et sur des rencontres.

Des hommes et des dieux, qui combine un naturalisme presque documentaire avec la rigueur du classicisme est un drame éminemment lent, silencieux, contemplatif et esthétique. Il a rencontré un large public américain et une critique de presse unanimement élogieuse. Une exception, le quotidien de St Louis (le journal du célèbre Pulitzer) dont le chroniqueur à titré « Pardonnez-moi mon Père car je me suis ennuyé » ! A noter que dans le titre américain, Of Gods and Men, les dieux ont la préséance.

Parce que c’est un cinéma d’auteurs et parce qu’il se focalise sur les personnages, il est aussi considéré comme un cinéma d’acteurs. On remarque en Amérique que les acteurs français ont des possibilités de carrière plus longues qu’ailleurs. Les rôles qu’ils accumulent, et que les spectateurs gardent en mémoire, donnent à leurs personnages l’épaisseur de leurs trajectoires individuelles. Certains acteurs comme Catherine Deneuve, qu’aux États Unis on appelle la reine, ou Gérard Depardieu, qui impose sa carrure dans la tradition de Jean Gabin ou Michel Simon, ont la capacité d’apporter aux films leur propre histoire. Il peuvent parfois faire des retours qui ne paraissent pas en être tant ils se réinsèrent naturellement dans la scène cinématographique.

Ce fut le cas d’Emmanuelle Riva dans Amour ou de Niels Arestrup dans Un prophète et de Dominique Sanda dans Elle s’en va. Ce mois, un rédacteur de “Film Comment” fait observer qu’en jouant des rôles en position de figures parentales, ces “anciens” contribuent à transmettre le flambeau aux jeunes acteurs et que l’émergence de jeunes talents d’acteurs est ainsi progressive et continue. Il fait valoir que cette présence constante des acteurs permet au cinéma français de rester à un haut niveau qualitatif même en dehors des périodes pendant lesquelles les réalisateurs apportent des nouveautés dans la forme ou la thématique.

DM

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