Frédéric Boyer : « Le niveau général du cinéma français est exceptionnel mais il n’y a pas de génie »

FrenchFlicks est allé rencontrer à New York Frédéric Boyer, directeur artistique du Festival de Tribeca (du 13 au 24 avril prochain) et ancien délégué général de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, pour discuter de son rôle au sein du festival new-yorkais, de la compétition entre tous les festivals du monde entier, et de la perception du cinéma français aux États-Unis. 

FrenchFlicks : Lorsque vous avez été nommé en 2011 au Tribeca Film Festival, votre rôle était de donner une ligne directrice à la programmation. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Frédéric Boyer : C’est évidemment quelque chose de très difficile à faire. Les gens avaient une idée de Tribeca comme d’un festival qui programmait beaucoup de films, jusqu’à 200. Aujourd’hui, on en sélectionne moitié moins. On essaye de montrer des films particuliers. Je n’aime pas trop le mot ‘diversité’ quand on parle de films, mais le but est bien d’avoir une représentation du cinéma mondial dans tous ses aspects : thématique, géographie, style. Et puis, un des objectifs de Tribeca, c’est de montrer des films à petits budgets qui n’ont pas été faciles à financer, à tourner, mais qu’on apprécie. Cette année, je dirais que la sélection est plutôt légère, et abordable. Et pour la première fois, on a une section internationale et une section américaine car très souvent les Américains ne gagnaient pas et c’est bien qu’ils gagnent aussi dans un festival qui se déroule dans leur pays !

Est-ce difficile de convaincre certains réalisateurs de présenter leur film à Tribeca, sachant que le festival se trouve quelques semaines avant Cannes ? 

Ce n’est pas facile. Il y a South By Southwest (SXSW) mi-mars, qui est notre concurrent direct, et le festival de Cannes début mai. La date tient une importance primordiale dans la réussite d’un festival. Je sais qu’il y a eu des discussions sur la pertinence du mois d’avril pour le festival de Tribeca mais je ne crois pas qu’il devrait y avoir de changement. Parfois, on découvre un film avant Cannes, avec la possibilité d’avoir une potentielle première mondiale. On met tout en œuvre pour convaincre le réalisateur de présenter son film chez nous, mais plus on fait de compliments à un réalisateur, plus il pense qu’il va pouvoir montrer son film à Cannes ! On essaye bien sûr d’avoir le plus de premières mondiales possibles car le festival est aussi un marché. On aime bien montrer des films mais on aime aussi qu’ils soient vendus pendant Tribeca. Sinon on ne passerait que les meilleurs films qui ont déjà été présentés dans d’autres festivals. Mais c’est déjà ce que fait très bien le New York Film Festival. Tribeca, ce n’est pas le best of de Berlin et Toronto. 

Du fait de votre connaissance du cinéma hexagonal et de vos contacts, essayez-vous de présenter plus de films français au festival depuis votre arrivée ? 

Depuis que j’ai été nommé, le cinéma français est le mieux représenté, après le cinéma américain évidemment. Cette année, il n’y a que trois films cependant : deux documentaires, un sur Benjamin Millepied, Reset, un autre produit par Julie Gayet, un road-movie sur la route des Sioux The Ride, et L’hermine, avec Fabrice Luchini, prix du scénario a Venise, et prix d’interprétation masculine pour l’acteur français. Beaucoup de films français veulent être à Tribeca pour leur première new-yorkaise, voire leur première américaine, et pour avoir un article dans le New York Times

Comment les Américains perçoivent-ils le cinéma français selon vous ? En sont-ils restés à Truffaut et Godard ou arrivent-ils à s’intéresser aux cinéastes hexagonaux contemporains ? 

Il y a un symptôme Nouvelle Vague évident car la répercussion a été énorme, même sur le cinéma américain. Les films français ont la réputation d’être bavards et sexy, mais finalement, c’est ce que les Américains aiment dans notre cinéma. De même que lorsqu’un Français va voir un Woody Allen, il veut retrouver le style Allen. Évidemment, les Américains ont du mal à aller au-delà de Godard, mais qu’est ce qu’il y a dans le cinéma français aujourd’hui ? Le niveau général est exceptionnel mais il n’y a pas de génie, pas de film qui pourrait mettre d’accord tous les Américains. Le seul qui me vient à l’esprit est Leos Carax, mais je ne le considère pas de la nouvelle génération. Il y aussi un grand maître Arnaud Desplechin. Après il y a François Ozon, Christophe Honoré, Alain Guiraudie, Jean-Charles Hue ou encore Jacques Audiard qui font des choses bien. Il y a un savoir-faire français évident, un niveau de production extraordinaire. Aujourd’hui, la seule grande star française reconnue de tous les cinéastes américains et qui tourne encore, c’est Claire Denis. 

Comment expliquez-vous que Paris n’a pas un grand festival de cinéma ?

Je ne crois pas qu’il y ait d’explications particulières. La prédominance du Festival de Cannes en France fait qu’aucun autre festival ne pourra jamais le concurrencer. Les bons festivals de grandes métropoles ne sont pas nombreux : Toronto, Tribeca, Berlin, et Londres de plus en plus. C’est très difficile car il faut beaucoup de moyens. L’argent du gouvernement ne suffit pas. Paris Cinéma (qui s’est tenu de 2003 à 2014, ndlr) avait une belle programmation et faisait venir des cinéastes du monde entier, mais ça s’est hélas arrêté. Je le regrette beaucoup. Grâce à Thierry Frémaux – délégué général du Festival de Cannes – le festival Lumières à Lyon a réussi en seulement six ans à se créer une forte identité. Comme à Belfort et Clermont-Ferrand, les salles sont pleines, et le public se déplace à Lyon spécialement pour assister aux projections. Je pense qu’il y a déjà beaucoup de beaux festivals en France en dehors de Cannes, et un festival à Paris n’est pas une nécessité. D’autant que la ville a déjà une cinémathèque avec une programmation très réussie.

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