"Tomorrow n'est pas un documentaire écolo, c’est un regard sur la société de demain"

Dans le film Tomorrow (Demain), actuellement en salles aux Etats-Unis, Cyril Dion et Mélanie Laurent sont partis à la rencontre de ceux qui travaillent déjà au monde de demain. Entretien avec les réalisateurs sur leur projet, qui dépasse le seul cadre du cinéma.

Comment vous êtes-vous rencontrés ? Comment est né ce projet de film ?

Cyril Dion : Ça remonte à 2011. À cette époque, je dirigeais le Mouvement Colibris, que nous avions co-fondé avec Pierre Rabhi et quelques amis. Nous montions une opération baptisée « Tous Candidats » dont l’objectif était de mobiliser un maximum de personnes pour la campagne présidentielle de 2012. Très vite, Mélanie a voulu que je lui montre des initiatives qui « changent le monde »... Je l’ai emmenée à la ferme du Bec Hellouin en Normandie, chez Perrine et Charles Hervé-Gruyer (que nous avons filmés dans DEMAIN). Sur le trajet, nous nous sommes rendu compte que nous avions plein de goûts en commun. Je lui ai parlé de mon projet de film que je n’arrivais pas à monter. De fil en aiguille, je me suis dit qu’il fallait qu’on le fasse ensemble. Elle a dit oui dans la seconde et s’est investie totalement.

Le film démarre sur une étude scientifique parue dans la revue Nature en 2012. Celle-ci, assez dévastatrice, annonce un effondrement généralisé de nos écosystèmes, donc la fin des conditions de vie stables sur Terre...

CD : J’ai commencé à écrire le film en décembre 2010. À l’époque, je me disais déjà qu’annoncer les catastrophes ne suffisait plus. Il fallait proposer une vision de l’avenir. Chacun a besoin de se projeter, un peu comme quand les gens rêvent de leurs nouvelles maisons et font des plans chez l’architecte. Or, les plans d’architecte de la société de demain n’existaient pas. Ma première intention était de les mettre en image dans un film... Mais j’avais trop d’activités différentes pour sérieusement m’y atteler. En juin 2012 j’ai fait un burn out. Un mois plus tard, j’ai découvert la fameuse étude d’Anthony Barnosky et Elizabeth Hadly. Jamais une étude ne m’avait fait un effet pareil. Mon propre effondrement rencontrait l’effondrement programmé de la société. Je me suis dit qu’il était temps de faire ce qui comptait le plus pour moi et de mettre ce film sur les rails. J’ai démissionné de mon poste chez Colibris et j’ai commencé à y consacrer la plupart de mon temps.

Mélanie Laurent : J’ai lu l’étude pendant que j’étais enceinte, j’étais sous le choc, j’ai passé la journée à pleurer et j’ai maudit Cyril de m’avoir plongée dans un désespoir pareil. Jusqu’à la découverte de cette étude, il ne s’agissait « que » de faire un film positif. Tout d’un coup, cela devenait un film nécessaire, et cela a été un formidable moteur. Dans ma vie d’actrice, j’avais déjà beaucoup de choses calées, j’en ai annulé un certain nombre pour m’investir à fond.

Agriculture, énergie, le film aborde les thèmes classiques de l’écologie. Puis tout d’un coup, il nous entraîne dans une histoire plus globale et nous parle d’économie, d’éducation, de politique...

CD : Nous voulions montrer que tout est lié. Qu’il n’est pas possible de traiter les problèmes séparément. L’agriculture occidentale par exemple, est totalement dépendante du pétrole. Changer de modèle agricole, c’est aussi changer de modèle énergétique. Mais la transition énergétique coûte cher, il faut donc l’aborder sous l’angle économique. Malheureusement l’économie est aujourd’hui créatrice d’inégalités et largement responsable de la destruction de la planète, il est nécessaire de la réguler démocratiquement. Mais pour qu’une démocratie fonctionne, elle doit s’appuyer sur des citoyens éclairés, que l’on a éduqués à être libres et responsables...

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DEMAIN serait-il un film enthousiaste, écologiste et humaniste ?

ML : Ce n’est pas un documentaire écolo, c’est un regard sur la société telle qu’elle pourrait être demain... Nous sommes pile dans l’ère où plus personne ne se parle, ne se rencontre, tout le monde se juge, il n’y a plus assez d’empathie. Tout d’un coup, le film montre des gens qui agissent ensemble, discutent autour d’un framboisier ou d’un improbable billet de 21 livres. Ces initiatives créent de petites communautés à mille lieues du cliché de l’écolo dans sa grotte. C’était important d’avoir des personnages qui nous ressemblent, auxquels chacun peut s’identifier.

CD : Nous voulons donner envie aux spectateurs d’habiter dans ce monde-là, d’être comme ces nouveaux héros qui ne sont ni milliardaires, ni stars, mais valeureux, beaux, humains... Des personnes ordinaires qui créent des potagers, ouvrent de supers écoles... Après avoir vu Charles et Perrine dans leur ferme luxuriante en permaculture, même notre producteur, qui n’est pas spécialement paysan dans l’âme, a eu envie d’aller cultiver des légumes ! Idem pour notre distributeur ! C’était ça le défi.

ML : Personne n’a envie d’être confronté à des choses terrifiantes. Pourtant nous devons les regarder en face, nous n’avons plus le choix. Alors, pour avoir la force de réagir, nous avons besoin de solutions, accessibles, joyeuses... C’est pour cette raison que nous avons montré tous ces gens qui agissent sans que ce soit douloureux. Pas besoin de tout larguer, de changer de vie, de vivre isolé dans une ferme en attendant l’autosuffisance... Toutes les initiatives présentées sont à notre portée, dans nos vies et peuvent être mises en place dès demain.

Les initiatives que vous montrez sont certes inspirantes mais soyons réalistes, elles ne représentent que l’épaisseur du trait. Face aux enjeux, elles ne suffiront pas à éviter le fameux effondrement prévu par tant d’études comme celle que vous citez.

CD : Notre intention n’était pas de fournir la réponse absolue à l’effondrement mais de raconter une nouvelle histoire. Contribuer, même modestement, à l’émergence d’une nouvelle culture, de nouvelles représentations du monde. Nous avons d’abord besoin de changer d’imaginaire et, à chaque époque, cela a été de la responsabilité des artistes (parmi d’autres) de produire des livres, des films, des tableaux, des chansons... qui décrivent ces mutations.

ML : Mises bout à bout, les initiatives comme la permaculture, les monnaies locales, les énergies renouvelables, dessinent un monde possible. Ce qui peut paraître démotivant, c’est qu’il ne s’agit que d’initiatives isolées, mais en même temps elles ne demandent qu’à être réunies ! Il y a déjà un monde qui tient la route, qui existe, où tout est possible. Des solutions sont déjà disponibles, dans tous les domaines, c’est obligatoirement inspirant !

CD : Les sceptiques d’aujourd’hui verront bien que d’ici vingt ou trente ans, lorsque les ressources seront de plus en plus rares, que les réfugiés climatiques seront encore plus nombreux qu’aujourd’hui, que les rendements agricoles chuteront, il n’y aura pas d’autre voie possible que de changer. Toutes ces initiatives vont dans le sens de l’Histoire, nous n’avons pas le choix. Elles sont les prémices d’une nouvelle civilisation et d’une nouvelle culture. Tous nos interlocuteurs nous ont parlé de résilience. Comment faire le jour où tout se casse la figure ? Comment continuer à manger ? Comment produire de l’énergie ? Comment faire pour qu’un minimum d’économie survive ? Ces questions préoccupent des personnes qui ne se connaissent pas du tout et qui vivent dans dix pays différents. Elles nous disent toutes la même chose. C’est un des axes les plus forts du film : la diversité, le désir d’autonomie, la création de communautés humaines pour entrer dans l’action.

Avec DEMAIN, est-ce une forme d’espoir que vous avez eu envie de partager ?

ML : La complexité de cette histoire, c’est que c’est tellement foutu qu’on est toujours en train de se dire qu’on n’y arrivera jamais. Faire ce film m’a enchantée, j’ai rencontré des gens incroyables, j’ai accumulé tellement de savoirs, j’ai l’impression d’être plus ouverte sur le monde. Et je suis donc beaucoup plus radicale sur plein de petites choses dans la vie. C’est tout nouveau pour moi d’être régulièrement, instantanément, triste. Par exemple, quand je me ballade dans un parc et que j’y vois les déchets abandonnés par ceux qui viennent d’y pique-niquer ou quand je vois que les gens écrasent leurs mégots dans des plantes...

CD : J’ai encore plus conscience qu’avant que tout va s’effondrer et je n’ai jamais eu aussi peur. Mais j’ai encore plus envie d’allumer des petites torches chez les gens. J’adore voir ce que le film provoque chez ceux qui le voient : il touche ce petit quelque chose qui n’est pas loin de la surface et qui donne envie de faire mille choses utiles, de trouver du sens.

ML : Le monde manque d’initiatives réjouissantes faciles à mettre en place et qui donnent des idées. C’est ce que disent deux de nos personnages, Mary et Pam, les créatrices des incroyables comestibles : il faut commencer dans sa rue, dans son quartier, avec ses voisins, puis mobiliser les chefs d’entreprise, les élus locaux. Quand les gens commencent à faire quelque chose, ils ne s’arrêtent plus, ils continuent, échangent leurs idées, expérimentent, partagent. Dans le métro, si vous tenez la porte à celui qui vous suit, il accélère et dans 99 % des cas, il aide ceux qui sont derrière lui. C’est à l’infini. C’est tout ce que j’aime. Nous ne sommes plus dans une zone de confort et pour autant, nous ne sommes pas encore dans l’effondrement. Nous sommes dans une phase particulièrement inspirante : nous savons que nous allons nous prendre un mur et c’est le moment de nous mobiliser. L’être humain est allé marcher sur la Lune, a aboli l’esclavage, éradiqué des maladies, nos capacités sont immenses, à nous de les mettre au service de notre survie et de notre bonheur collectif...

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