Etats-Unis/France : réglementations et différences culturelles font leur cinéma

Blood Ties, tourné à New York, projeté hors compétition à Cannes, est sorti en France le 30 octobre dernier. Guillaume Canet y rend hommage aux polars américains des années 1970. Il révèle dans la presse que tourner aux Etats-Unis s’est révèlé compliqué.

Les problèmes se sont accumulés : la défection tardive de Mark Wahlberg, les méandre de la production qu’il ne maîtrise pas, la script qui part sans prévenir sur un autre tournage, James Caan qui refuse de participer aux répétitions, l'électricité qu’on coupe en pleine prise car c'est l'heure de la pause-déjeuner, le figurant qu’il faut payer plus cher parce que marcher dans la rue est plus dangereux que s’asseoir au restaurant, celui qui réclame un salaire d’acteur parce Guillaume Canet a répondu à son bonjour. (Seul l’assistant peut parler au figurant !).

« Il y a là-bas des réglementations assez ridicules. J’ai tourné avec la crainte permanente du procès », affirme le réalisateur dans Le Parisien. Guillaume Canet avoue même avoir dû embaucher un chef opérateur payé à ne rien faire alors qu’il travaille avec le sien. Il reconnait cependant que les équipes travaillent vite et bien et que James Caan est un acteur fantastique.

Quant à Bertrand Tavernier il a déjà tourné à New York Autour de Minuit sorti en 1986, et en Louisiane Dans la brume électrique, en 2009. Il retourne à New York en 2013 et tourne au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour Quai d’Orsay, adapté d’une bande dessinée, sorti en France le 6 novembre dernier. Il emmène une équipe technique, sachant qu’un autre équipe l’attend à New York. « Ils vont être 80 mais je ne sais pas très bien ce qu’ils font à part dire « Copy that ! » dans leurs talkie-walkies », affirmait-il dans Le Figaro.

Le cinéma, une industrie qu’on protège

De son côté, Abdellatif Kechiche dans une déclaration faite début novembre à Libération encense la production américaine : « Aux Etats-Unis, on considère le cinéma comme une industrie. Il est indépendant de l’Etat et les producteurs savent qu’ils ont besoin du cinéma d’auteur, de sa créativité, de sa nouveauté. Je me pose la question de l’implication de l’Etat dans le financement des films ».

On peut cependant noter qu’Abdellatif Kechiche n’a tourné qu’en France, que le Festival de Cannes qui l’a récompensé a été créé sous l’impulsion de l’état et que son film Vénus Noire a bénéficié de l’avance sur recettes du Centre National du Cinéma. On peut aussi douter qu’il ait pu trouver aux Etats-Unis des producteurs pour financer La Vie d’Adèle quand on se souvient que Steven Soderbergh déclarait en janvier 2013 au New York Post que son film Ma Vie avec Liberace (Behind the Candelabra), sorti en septembre 2013 dans les salles françaises, a été produit et diffusé par la chaîne HBO parce que tous les studios hollywoodiens l’ont trouvé « trop gay, mais pas aussi drôle que Brokeback Mountain ».

En réalité, des deux côtés de l’Atlantique, le cinéma est une industrie qu’on protège. Aux Etats-Unis, on affirme que la politique des quotas à la télévision française et les avances sur recettes du CNC enfreignent les lois de la libre entreprise. Mais aux Etats-Unis le nombre de copies des films étrangers est réglementé et on préfère tourner un remake d’un grand succès étranger au prétexte qu’il faut l’adapter au public américain. Par ailleurs, le pays a choisi le sous-titrage plutôt que le doublage, ce qui contribue à ce que les films étrangers sont essentiellement distribués dans les cinémas indépendants.

Comment l'exception culturelle est née

Pour comprendre cet antagonisme, il faut remonter à l'accord Blum-Byrnes de 1946 entre une France ruinée et des Etats-Unis victorieux : l’effacement d’une partie de la dette de guerre et un prêt en contrepartie de l’abaissement des barrières douanières. Cet accord prévoit en particulier que dans les salles françaises, seules 16 semaines par an sont réservées en exclusivité aux films français. Ce qui laisse la part belle aux 2000 films américains interdits en France pendant la guerre, déjà amortis, et vendus à bas tarif, alors que l’industrie française n’est qu’à son redémarrage.

En 1948, suite aux manifestations des réalisateurs, des techniciens et des acteurs et constatant que le marché français est inondé par les films US, l’Assemblée Nationale révise cet accord. Il porte à 20 semaines le quota d’exclusivité pour les films français et crée le CNC, aujourd’hui Centre National du Cinéma et de l'image animée, destiné à soutenir le cinéma, de nos jours surtout par le système d’avance sur recettes, symbole de l'exception culturelle française. Tandis que parallèlement, en 1948 également, l’administration US garantit une conversion à un taux favorable des gains à l’étranger si le produit diffusé est le reflet de l’American way of life, ce qui semble être l’aveu de la visée hégémonique de cet accord Blum-Byrnes. Depuis chacun des deux pays admire le cinéma de l’autre tout en s’en méfiant.

DM

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