Beaucoup de films n’ont pas de musique originale, souvent pour des raisons budgétaires. Pourtant, bien des séquences de films qui nous restent en mémoire sont liées à leur couleur musicale. Point de vue sur cinq films récents. 

Arnaud Desplechin a confié la bande originale de Jimmy P. à Howard Shore, deux fois récompensé d’un Oscar, auteur de plusieurs dizaines de BO dont Le silence des agneaux, Le seigneur des anneaux, Le retour du roi et Hugo. Le compositeur canadien, spécialiste des thèmes angoissants ou épiques livre ici une partition plus sobre, s’éloignant des grands effets d’orchestre symphonique ; il a choisi de composer pour quatuor et orchestre de chambre voire même pour piano solo. Sa composition ne manque cependant pas d’intensité et accompagne parfaitement le côté sombre et parfois dramatique de l’introspection comme les périodes d’apaisement de Jimmy. 

Pas de composition originale pour La vie d’Adèle d'Abdellatif Kechiche, à part deux minutes de clarinette, Home Lands, de Denis Levaillant, compositeur et pianiste. Parmi les nombreuses chansons utilisées, on retiendra une découverte, la musique dominicaine appelée “bachata”, avec Mi Corazoncito du groupe Aventura formé dans le Bronx il y a dix ans et provisoirement séparé. Une musique qui combine rythme tropical, nostalgie et textes poétiques. 

Un autre Canadien pour L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet. Denis Sanacore signe sa première musique de film. Jean Pierre Jeunet lui a demandé de rester fidèle à son univers. De jolies et simples mélodies folk jouées sur ses deux instruments de prédilection : le violon et la guitare auxquels s’ajoute parfois l’harmonica. Léa, la fille de l’artiste a co-écrit et interprété la chanson Here now and then. Une musique en adéquation avec les paysages du Montana (en réalité les tournages ont eu lieu en Alberta, état voisin du Canada). Beaucoup aimeront apprendre les mélodies de ce professeur de musique et concertiste dont la réputation n’avait pas dépassé son Québec natal. 

La BO d’Yves Saint Laurent de Jalil Lespert est aussi une première musique de film. On la doit à Ibrahim Maalouf, musicien de jazz plusieurs fois récompensé. Les compositions de ce virtuose de la trompette, admirateur de Miles Davis (compositeur de l’inoubliable BO d’Ascenseur pour l’échafaud), alternent mélancolie et énergie jazzistique. Musicien de jazz qui ajoute ses racines orientales à sa formation classique, Ibrahim Maalouf dit toujours voir des images lorsqu’il compose. Il sait nous les montrer.

Avec la BO de Quai d’Orsay, Philippe Sarde, compositeur prolifique et éclectique de plus de 300 musiques de films, signe sa dixième collaboration avec Bertrand Tavernier, de L’horloger de Saint Paul à La Princesse de Montpensier. Philippe Sarde a débuté à 21 ans pour Les choses de la vie de Claude Sautet et a travaillé des deux côtés de l’Atlantique. On retrouve dans cette BO son goût pour les mélanges de styles et de timbres et pour les instrumentalisations insolites avec notamment l’irruption du didgeridoo. Ses influences jazzistiques sont là aussi dans une orchestration étincelante où dominent cuivres et cordes. La partition souligne aussi bien la solennité du bureau d’un ministre que le tourbillon dans lequel il embarque ses collaborateurs. La composition évoque alors le bourdonnement d’une ruche ou le rythme d’une mécanique infernale. Dans la scène aux Nations Unies, la musique, avec les variations de rythme et d’intensité de l’orchestre et la petite mélodie qui émerge, est elle-même un discours. Le personnage joué par Raphaël Personnaz écoute quant à lui des rocks acoustiques écrits pour le film par Bertrand Burgalat. Philippe Sarde qui dit ne pas aimer composer sans le support des images, illustre joliment celles de cette comédie, avec cet art du contrepoint qui évite la redondance.

Philippe Sarde qui aurait voulu être réalisateur s’il n’avait été musicien envisagerait aujourd’hui de tourner une comédie avec Michel Vuillermoz et Sandrine Kiberlain. Pour les nostalgiques, la musique Des choses de la vie.